Synopsis : « cet
itinéraire doit être regardé beaucoup moins comme un voyage que comme les
Mémoires d’une année de ma vie. » (p.169) ; si on y ajoute sa pensée,
le réquisitoire contre le despotisme oriental qu’elle comporte, et les lectures
référencés au long du voyage, on comprend mieux cette assertion.
I. Voyage
en Grèce
1. Le voyage géographique et sensible
Parti de Trieste et
longeant les côtes et les îles de la mer Ionienne, l’auteur débarque à Modon
(Methoni) le 10 août 1806, c’est-à-dire quelques vingt années avant
l’indépendance grecque. De là, il traverse le Péloponnèse (la Morée) en passant
par les villes de Coronée, toujours en Messenie, Tripolizza en Arcadie, Misitra
et les ruines de Sparte en Laconie, puis se dirige vers Athènes par Argos,
Mycènes, Corinthe, Mégare et Eleusis.
Il entre dans la cité de
Minerve le 19 ou le 23 août, et y rencontre son hôte, M. Fauvel, qui lui fera
visiter les sites importants. Ceux-ci, environnés d’une ville plus moderne,
sont bien mieux conservés, sans autoriser l’exagération puisque Châteaubriand
verra le Parthénon après qu’il fut bombardé, en 1687, par les Vénitiens. Le
seul péristyle reste néanmoins garant de
la perfection de son architecture, notamment la conjonction entre
« l’harmonie et la force ».
A la lumière de tous les
livres d’érudition et des textes de l’antiquité, l’auteur ne pourra que vivre
de désillusions ; il en sera bien autrement pour Jérusalem, où
l’imagination semblera pallier au dépouillement du lieu. Malgré cela, ou tout
aussi bien à cause de cela, il s’en va à regret de la Grèce :
Je tournai la tête vers Sparte, et je jetai un dernier
regard sur l’Eurotas : je ne pouvais me défendre de ce sentiment de
tristesse qu’on éprouve en présence d’une grande ruine, et en quittant des
lieux qu’on ne reverra jamais. (p.140)
J’étais bien aise de quitter Athènes de nuit :
j’aurais eu trop de regret de m’éloigner de ses ruines à la lumière du soleil.
(p.205)
2. Le voyage littéraire et idéologique
L’ouvrage est
continuellement tiré vers l’antiquité, et les citations ou réflexions puisées
de ces temps n’ont de cesse, car Chateaubriand d’abord voit les lieux avec
l’œil du lecteur, qui l’amène à juger bien différemment que pourraient le faire
des voyageurs sans but.
Ces jugements suivent deux
directions : 1° L’esclavage des grecs ; 2° La tyrannie ottomane,
très caractéristique en ce début du XIXe siècle.
Le grec moderne,
« devenu Barbare, » (p.142), est surtout l’objet de la pitié de
l’auteur : « malheureux Grecs ! La France perdra-t-elle ainsi sa
gloire ? Sera-t-elle ainsi dévastée, foulée aux pieds dans la suite des
siècles ? » (p.154). Le turc, quant à lui, est le symbole d’une
autorité oppressive :
Le maître du lieu, vieux Turc à la mine rébarbative,
était assis dans un grenier qui régnait au-dessus des étables du kan ; les
chèvres montaient jusqu’à lui, et l’environnaient de leurs ordures. Il nous
reçut dans ce lieu de plaisance, et ne daigna pas se lever de son fumier, pour
faire donner quelque chose à des chiens de Chrétiens ; il cria d’une voix
terrible, et un pauvre enfant grec tout nu, le corps enflé par la fièvre et par
les coups de fouet, nous vint apporter du lait de brebis dans un vase dégoûtant
par sa malpropreté. (p.112)
Ce jugement, imparti à la
réalité du voyage, ne dément nullement ceux qui portent une marque plus
autoritaire, quelquefois tempérée par des rencontres (Ibraïm, p. 117), souvent
tournée contre le Koran :
Il n’y a dans le livre de Mahomet ni principe de
civilisation ni précepte qui puisse élever le caractère ; ce livre ne
prêche ni la haine de la tyrannie ni l’amour de la liberté. En suivant le culte
de leurs maîtres, les Grecs auraient renoncé aux lettres et aux arts, pour
devenir les soldats de la destinée, et pour obéir aveuglément au caprice d’un
chef absolu. Ils auraient passé leurs jours à ravager le monde, ou à dormir sur
un tapis au milieu des femmes et des parfums. (p. 221)
Il est vrai aussi que,
surtout au début du livre, l’auteur arrive en Grèce avec beaucoup d’a priori
sur les Turcs (87, 102), qu’il conserve ou modère par la réalité qu’il avoue
quelquefois.
II. Voyage
de Grèce à Jérusalem
Il est essentiel de
d’abord remarquer la continuité politique dans laquelle se fait l’entier
voyage, car l’empire Ottoman règne à la fois sur la Grèce, la Palestine, l’Égypte et la Tunisie.
1. Le voyage géographique et sensible
Parti de Constantinople
pour Jafa, Chateaubriand voyage par mer pendant douze jours (18-30 septembre). Il
passe par Rhodes et par Chypres, en énonce brièvement les histoires respectives
ou renvoie à d’autres auteurs, et débarque à Jafa, où il restera quelques
jours. Les 5 et 6 octobre, il visitera les monuments de Bethléem, la mer
Morte : le contraste avec les paysages de la Grèce est frappant :
Le plus petit oiseau du ciel ne trouverait pas dans ces
rochers un brin d’herbe pour se nourrir ; tout y annonce la patrie d’un
peuple réprouvé ; tout semble y respirer l’horreur et l’inceste d’où
sortirent Ammon et Moab.
La vallée comprise entre ces deux chaînes de montagnes
offre un sol semblable au fond d’une mer depuis longtemps retirée : des
plages de sel, une vase desséchée, des sables mouvants et comme sillonnés par
les flots. (p.316)
Davantage que d’un climat
semi-aride (Grèce) aux déserts de l’Orient, on passe de la beauté (proportion,
harmonie, justesse) au sublime (incommensurable), thème cher aux
romantiques :
Quand on voyage en Judée, d’abord un grand ennui saisit
le cœur ; mais lorsque, passant de solitude en solitude, l’espace s’étend sans
bornes devant vous, peu à peu l’ennui se dissipe, on éprouve une terreur
secrète, qui, loin d’abaisser l’âme, donne du courage, et élève le génie.
(p.317)
Du 7 au 12 octobre, il séjournera
à Jérusalem, fera une synthèse de l’histoire de la ville, et décrira les
principaux monuments, qu’il répartit en six classes (p.390) :
1° Les monuments purement
hébreux ;
2° Les monuments grecs et
romains du temps des Païens ; (Alexandre,
Pompée en -63 jusqu’à Constantin).
3° Les monuments grecs et
romains sous le Christianisme (Byzance
jusqu’au VIIe siècle) ;
4° Les monuments arabes ou
moresques (calife Omar, 638) ;
5° Les monuments gothiques
sous les rois français (Godefroy,
1099) ;
(Reconquête arabe par Saladin, dynastie Ayyoubide, 1188).
6° Les monuments turcs (Sélim Ier, 1516).
Chateaubriand insiste,
puisqu’il y est allé en pèlerinage, sur les monuments chrétiens, en particulier
l’église du Saint-Sépulcre et le sépulcre de la Vierge.
Il décrira également les
lieux alentours : le mont Calvaire, la Voie Douloureuse, le jardin des
Oliviers, etc.
2. Le voyage littéraire et idéologique
Outre l’opinion de
l’auteur sur les musulmans, arabes ou turcs, il convient ici de citer celle sur
les croisades :
Les croisades, en affaiblissant les hordes mahométanes au
centre même de l’Asie, nous ont empêchés de devenir la proie des Turcs et des
Arabes. Elles ont fait plus : elles nous ont sauvés de nos propres
révolutions ; elles ont suspendu, par la paix de Dieu, nos guerres
intestines ; elles ont ouvert une issue à cet excès de population qui tôt
ou tard cause la ruine des États remarque que le père Maimbourg a faite et que
M. de Bonald a développée.
Quant aux autres résultats des croisades, on commence à
convenir que ces entreprises guerrières ont été favorables au progrès des
lettres et de la civilisation. Robertson a parfaitement traité ce sujet dans
son Histoire du Commerce des Anciens aux Indes Orientales. J’ajouterai qu’il ne
faut pas dans ces calculs omettre la renommée que les armes européennes ont
obtenue dans les expéditions d’outre-mer. Le temps de ces expéditions est le
temps héroïque de notre histoire ; c’est celui qui a donné naissance à
notre poésie épique. Tout ce qui répand du merveilleux sur une nation ne doit
point être méprisé par cette nation même. On voudrait en vain se le dissimuler,
il y a quelque chose dans notre cœur qui nous fait aimer la gloire ;
l’homme ne se compose pas absolument de calculs positifs pour son bien et pour
son mal : ce serait trop le ravaler ; c’est en entretenant les
Romains de l’éternité de leur ville qu’on les a menés à la conquête du monde et
qu’on leur a fait laisser dans l’histoire un nom éternel. (p.373)
III. Voyage
en Égypte et à Carthage
Si j’avais été enchanté de l’Égypte, Alexandrie me sembla
le lieu le plus triste et le plus désolé de la terre. Du haut de la terrasse de
la maison du consul, je n’apercevais qu’une mer nue qui se brisait sur des
côtes basses encore plus nues, des ports presque vides et le désert libyque
s’enfonçant à l’horizon du midi : ce désert semblait, pour ainsi dire,
accroître et prolonger la surface jaune et aplanie des flots : on aurait
cru voir une seule mer dont une moitié était agitée et bruyante, et dont
l’autre moitié était immobile et silencieuse. Partout la nouvelle Alexandrie mêlant
ses ruines aux ruines de l’ancienne cité ; un Arabe galopant sur un âne au
milieu des débris ; quelques chiens maigres dévorant des carcasses de
chameaux sur la grève ; les pavillons des consuls européens flottant
au-dessus de leurs demeures, et déployant, au milieu des tombeaux, des couleurs
ennemies : tel était le spectacle.
Du 23 novembre 1806 au 12
janvier 1807, Chateaubriand fait la traversée d’Égypte en Tunisie, essuyant
tempêtes et déviations de route.
A Carthage, l’auteur
reprend son histoire puis décrit rapidement sa géographie, devinant les plans
antiques ; mais la durée de son séjour, depuis Alexandrie, est
proportionnellement inverse à la richesse de ses descriptions et idées.
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